Colloque AJPF 2006 - Droit patrimonial de la famille

Colloque AJPF 2006 - Droit patrimonial de la famille
M. Olivier AIMOT - Premier président de la Cour d'Appel de Papeete et Mme Vernaudon-Coppenrath - députée de la Polynésie française

L’ADAPTATION DES TEXTES AUX SPECIFICITES de la Polynésie française

Colloque droit de la famille organisé en 2006 par l'Association de Juristes en Polynésie française

lundi 18 juin 2007

L’ADAPTATION DES TEXTES AUX SPECIFICITES DE LA POLYNESIE FRANCAISE

COLLOQUE AJPF – DROIT DE LA FAMILLE 2006

Adaptation des textes
A - Atelier de formation - Intervention de Jean Pérès
B - Atelier de réflexion - Retranscription - Atelier portant sur les successions et les libéralités
 - Amendements présentés par Laurence Leprince-Ringuet

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A - ATELIER DE FORMATION


L’ADAPTATION DES TEXTES AUX SPECIFICITES
DE LA POLYNESIE FRANCAISE
(Loi du pays, amendement, ordonnance, etc.)

Intervention de M. Jean PERES,
membre du haut conseil de la Polynésie française

Afin d’examiner le plus complètement possible, le thème soumis à la réflexion de cet atelier, je vous propose, dans une première partie, de rappeler les principes généraux de la spécificité avant d’examiner, dans une deuxième partie, les dispositions propres à chacune des normes juridiques.

I – PRINCIPES GENERAUX

Après avoir rappelé les grandes lignes de la répartition des compétences entre l’Etat et la Polynésie française, j’aborderai l’examen du principe de l’application des lois et règlements en Polynésie française et celui de l’adaptation de ces textes aux spécificités de ce pays.

1.1. REPARTITION DES COMPETENCES
Contrairement à la lettre du quatrième alinéa de l’article 74 de la Constitution mais fidèle à la ligne adoptée depuis le statut de 1977, la loi statutaire définit précisément et limitativement les compétences qui sont attribuées à l’Etat et aux communes de la Polynésie française.

Toutes les autres matières sont dévolues aux autorités du Pays.

Un soin tout particulier a été apporté par le législateur à la définition des compétences de l’Etat (cf. article 14 de la loi statutaire) afin d’éviter les dérapages constatés sous l’empire des statuts précédents et qui tenaient pour l’essentiel à une interprétation extensive des compétences « transversales » conservées par l’Etat (droit civil, droit commercial). Dans le statut actuel, on ne retrouve plus que les « garanties des libertés publiques » qui peuvent interférer dans le champ des compétences de la Polynésie française.

1.2. APPLICABILITE DES TEXTES METROPOLITAINS
Le principe, connu sous le nom de spécialité législative, est fort ancien. Il implique que, pour qu’il soit applicable, un texte doit comporter une mention spéciale dans ce sens. Ce principe comporte toutefois de nombreuses exceptions.

a/ On fait remonter aux lettres royales de 1744 et 1746 et à l’ordonnance royale du 18 mars 1766 l’origine de cette règle. Il fallait un ordre spécial du Roi pour qu’un acte reçoive application dans les colonies.

Cette règle a subsisté jusqu’à nos jours, en passant par le sénatus-consulte du3 mai 1854 qui confiait à l’exécutif le pouvoir de légiférer pour les colonies.

b/ Le nouvel article 74 de la Constitution, issu de la loi du 28 mars 2003, formalise ce principe en précisant que le statut de chacune des collectivitésd’outre-mer fixe « les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables ». C’est dans ces conditions que le premier alinéa de l’article 7 de la loi statutaire dispose que « dans les matières qui relèvent de la compétence de l’Etat, sont applicables en Polynésie française les dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin ».

c/ Par exception à ce principe de nombreux textes, que la doctrine recouvre sous le vocables de « lois de souveraineté », trouvent à s’appliquer de plein droit. L’article 7 de la loi statutaire cite les dispositions relatives :

- à la composition, l’organisation, le fonctionnement et les attributions des pouvoirs publics constitutionnels de la République, du Conseil d’Etat, de la Cour de Cassation, de la Cour des comptes, du tribunal des conflits et de toute juridiction nationale souveraine, ainsi que du médiateur de la République et du défenseur des enfants ;
- à la défense nationale ;
- au domaine public de l’Etat ;
- à la nationalité, à l’état et à la capacité des personnes ;
- aux statuts des agents publics de l’Etat ;
- aux autorisations de ratifier ou d’approuver les engagements internationaux, y compris les décrets qui décident de leur publication.

Par une réserve d’interprétation (cf. 18° considérant), le Conseil Constitutionnel a posé comme règle que sont également applicables de plein droit les autres textes qui « en raison de leur objet sont nécessairement destinés à régir l’ensemble du territoire de la République ». On serait tenté, comme le président François LUCHAIRE, de rattacher à cette catégorie innommée :

- toutes les règles constitutionnelles ;
- les principes généraux du droit ;
- les textes relatifs aux juridictions communes comme la Cour administrative d’appel de Paris ;
- les règles relatives au statut applicable à certaines personnes, comme les pensionnés de l’Etat, quel que soit leur lieu de résidence.

1.3. ADAPTATION AUX SPECIFICITES DU PAYS
La spécificité législative nécessite, pour sa pleine effectivité, une adaptation des lois et règlements aux particularités géographiques, économiques ou sociales de la Polynésie française. Le principe en est posé dans la Constitution et développé dans la loi statutaire.

a/ Le premier alinéa de l’article 74 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle de 2003, dispose que les collectivités d’outre-mer « ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République ».

La rédaction précédente, datée de 1992, précisait que « les territoires d’outre-mer ont une organisation particulière tenant compte de leurs intérêts propres, dans l’ensemble des intérêts de la République ».

Le nouvel article 74, ayant également développé la notion de statut et de son contenu, apparaît plus directif que l’ancien. La notion d’organisation particulière n’a toutefois pas disparu de la Constitution et on la retrouve au dernier alinéa de cet article 74.

b/ Le deuxième alinéa de l’article 74 de la Constitution précise que le statut est adopté par le Parlement après avis de l’assemblée.

Le dernier alinéa de ce même article prévoit également la consultation de l’assemblée pour les projets de loi fixant les autres modalités de l’organisation particulière, c’est à dire tout ce qui ne touche pas au statut proprement dit.

Il faut, à ce propos, dire un mot sur ce que l’on entend par organisation particulière. Faute de définition précise, le Conseil Constitutionnel, jusqu’en 1994, a, au cas par cas, donné sa position sur ce qu’il fallait entendre par cette notion. Dans sa décision du 7 juillet 1994, il a posé pour règle que la notion d’organisation particulière ne s’applique que lorsque la loi introduit, modifie ou supprime une disposition spécifique au Pays. Cette formule se retrouve aujourd’hui aux articles 9 et 10 de la loi statutaire.

c/ Le sixième alinéa de l’article 74 renvoie à la loi statutaire le soin de fixer les conditions dans lesquelles les institutions de la Polynésie française sont consultées sur les projets et propositions de loi, sur les projets d’ordonnance ou de décret comportant des dispositions particulières au pays ainsi que sur la ratification ou l’approbation d’engagements internationaux conclus dans les matières relevant de la compétence du Pays.


d/ L’assemblée est consultée (art. 9 de la loi statutaire) sur :

- les projets et propositions de loi comportant des dispositions particulières au pays ;
- les projets d’ordonnance que celles-ci relèvent tant de l’article 38, lorsqu’elles comportent des dispositions particulières au pays, que de l’article 74-1 de la Constitution lorsqu’elles concernent la Polynésie.
- les projets de loi de ratification ou d’approbation des engagements internationaux ;

L’assemblée dispose d’un délai d’un mois, réduit à quinze jours en cas d’urgence. Passé ce délai, l’avis est réputé donné.

Sauf en ce qui concerne la loi statutaire, l’assemblée peut donner pouvoir à la commission permanente pour émettre les avis.

e/ Le gouvernement est consulté (art. 10 de la loi statutaire) sur :

- les projets de décret à caractère réglementaire ;
- les projets de ratification ou d’approbation des traités ou accords autres que ceux qui ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi.

Les délais sont les mêmes que ceux fixés pour l’assemblée et l’avis est réputé donné après l’expiration du délai.

II – PARTICULARITES

Le principe de spécialité et son corollaire, le principe d’adaptation à la spécificité polynésienne, trouvent à s’appliquer aux normes suivantes : « loi du pays », lois de la République et règlements métropolitains.

Ils sont de peu d’intérêt pour les autres normes : délibérations de l’assemblée, arrêtés du président et arrêtés pris en conseil des ministres.

2.1. « LOIS DU PAYS »

2.1.1. Définition

Malgré son intitulé, corrigé par des guillemets, la « loi du pays » procède des délibérations de l’assemblée et a le caractère d’un acte administratif. Elle constitue une norme particulière applicable à certains règlements, limitativement énumérés, soumise à une procédure particulière d’élaboration et d’adoption et justiciable d’un régime contentieux dérogatoire.



2.1.2. Champ d’intervention

Par analogie avec les dispositions de l’article 34 de la Constitution qui définit le domaine de la loi, l’article 140 de la loi statutaire énumère les matières qui relèvent de la norme « loi du pays, qu’elles ressortissent soit à la compétence propre de la Polynésie française, soit à la participation du Pays à l’exercice des compétences de l’Etat.

L’article 140 précise également que les « lois du pays » doivent « relever du domaine de la loi », expression qui ramène normalement au champ défini par l’article 34 de la Constitution, ce qui posait des problèmes délicats de répartition des compétences pour l’assemblée elle-même selon qu’elle édictait une « loi du pays » ou une délibération et entre l’assemblée et le conseil des ministres pour la définition des mesures d’application des « lois du pays ».

Dans son premier arrêt (n° 286584 du 1er février 2006) rendu sur une« loi du pays » qui lui avait été déférée, le Conseil d’Etat, tout en relevant que si les « lois du pays » ne doivent en principe « comporter que des dispositions relevant du domaine de la loi », pose pour règle que le législateur organique « n’a pas entendu frapper d’illégalité une disposition de nature réglementaire contenue dans une« loi du pays » reprenant en cela une disposition du Conseil Constitutionnel du30 juillet 1982.

Ce faisant, il visait expressément le domaine réglementaire réservé au conseil des ministres (dérivé ou propre) mais n’excluait pas l’empiètement des « lois du pays » sur le domaine réservé normalement à la délibération.

2.1.3. Procédure particulière

a/ Tout projet ou proposition de « loi du pays » doit, à peine de nullité, être soumis à l’avis du haut conseil.

Le haut conseil dispose normalement d’un délai de six semaines pour rendre son avis. En cas d’urgence, ce délai est ramené à un mois.

L’avis du haut conseil est purement consultatif, il ne lie ni le gouvernement, ni l’assemblée.

Le conseil économique, social et culturel est saisi des projets ou propositions à caractère économique ou social. Le Conseil d’Etat a déjà jugé qu’une loi fiscale n’entrait pas dans cette catégorie.

b/ Le Conseil d’Etat (décision n° 288390 du 15 mars 2006) a admis que le gouvernement et l’assemblée pouvaient modifier le texte, après son passage devant le haut conseil, sans qu’il soit nécessaire de consulter le haut conseil sur les amendements proposés sous la seule réserve que ces amendements ne soient « pas dépourvus de tout lien » avec le texte examiné.

c/ Les projets ou propositions de « lois du pays » intervenant dans les matières de compétence de l’Etat, dans l’exercice desquelles la Polynésie peut participer, doivent, avant leur adoption par l’assemblée, obtenir l’accord de l’Etat. Cet accord est donné, totalement ou partiellement par décret. Le refus d’approbation est notifié par décret motivé.

Les décrets d’approbation deviennent caducs s’ils n’ont pas été ratifiés par une loi. Cette rédaction n’est pas juridiquement correcte car normalement la caducité est constatée à l’expiration d’un délai fixé. Elle s’explique par la censure partielle de la disposition, le Conseil constitutionnel ayant refusé d’enfermer le Parlement dans un délai et ayant interprété sa censure comme interdisant l’entrée en vigueur de la « loi du pays » tant que le décret d’approbation n’a pas été ratifié par la loi.

L’assemblée ne peut approuver le projet que dans les mêmes termes que ceux qui ont reçu l’accord de l’Etat. Le droit d’amendement disparaît dans ce cas et il ne subsiste plus que le droit de ne pas adopter.

d/ Le rapporteur d’une « loi du pays » doit être désigné en séance plénière de l’assemblée. Le rapport doit être publié et déposé au moins douze jours avant la séance.

L’assemblée ne peut déléguer son pouvoir à la commission permanente et le texte est adopté au scrutin public et à la majorité des membres qui la composent(à savoir 29 dans les conditions actuelles). Toutefois, le vote par procuration est autorisé dans la limite d’une procuration par représentant.

e/ La « loi du pays » votée doit être publiée pour information au Journal officiel de la Polynésie française afin de permettre l’exercice, par toute personne y ayant intérêt, d’un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat.

Elle peut également être déférée, dans les quinze jours de son adoption, par lehaut-commissaire, le Président de la Polynésie française, le Président de l’assemblée ou par six représentants.

f/ Pour entrer en vigueur, la « loi du pays » doit être promulguée par le Président de la Polynésie française soit :

- à l’expiration du délai d’un mois suivant la publication pour information, si aucun recours n’a été intenté ;
- dès la publication au Journal officiel de la Polynésie française de la décision du Conseil d’Etat lorsque le conseil n’a pas interdit la promulgation du texte ou d’une partie de celui-ci déclaré inséparable de l’ensemble.

La promulgation doit intervenir dans le délai de dix jours. A défaut, lehaut-commissaire se substitue au Président de la Polynésie française pour procéder à la promulgation.


2.2. LOIS PARLEMENTAIRES

Indépendamment du principe général de spécialité législative, les lois de la République sont soumises à un régime particulier pour leur application en Polynésie française.

2.2.1. Compétences de l’Etat transférées

Conformément à un principe qui remonte à la loi-cadre de 1956 et afin d’éviter tout vide juridique, les lois, ordonnances et décrets intervenus avant l’entrée en vigueur de la loi statutaire, dans des matières qui relèvent désormais de la compétence de la Polynésie française, peuvent être modifiés ou abrogés par les institutions polynésiennes (art. 11 de la loi statutaire).

En d’autres termes, ces lois restent en vigueur mais avec valeur de règlements territoriaux.

2.2.2. Protection des compétences de la Polynésie française

Lorsque, postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi statutaire, une loi intervient dans le champ des compétences de la Polynésie française, une première action est ouverte aux parlementaires, c’est celle du recours au Conseil Constitutionnel avant la promulgation.

Si la vigilance des parlementaires avait été prise en défaut, il n’y avait normalement aucun recours possible après la promulgation. Le nouvel article 74 de la Constitution, issu de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, a introduit, dans son 9ème alinéa, une protection supplémentaire pour les collectivités d’outre-mer dotées de l’autonomie.

En vertu de l’article 12 de la loi statutaire, le Conseil Constitutionnel peut être saisi par le Président de la Polynésie française après délibération du conseil des ministres, par le Président de l’assemblée habilité par une délibération de cette institution, par le Premier ministre, par le Président de l’Assemblée Nationale ou le Président du Sénat.

Il statue dans le délai de trois mois et s’il constate qu’une loi promulguée est intervenue dans le champ de compétence de la Polynésie française, cette loi peut être modifiée ou abrogée par l’assemblée soit dans la forme d’une « loi du pays » soit dans la forme d’une délibération.

2.2.3. Publication au Journal Officiel de la Polynésie française

La nouvelle loi statutaire a supprimé la formalité de la promulgation des lois et règlements par le représentant de l’Etat.



Cette autorité reste toutefois tenue d’en assurer la publication au Journal Officiel de la Polynésie française mais cette obligation est en fait dépourvue de sanction.

En effet, l’article 8 de la loi statutaire précise que les lois et les règlements entrent en vigueur en Polynésie française à la date que ces actes fixent ou , à défaut, le dixième jour suivant celui de leur publication au Journal Officiel de la République française.

Restent à venir les dispositions en cas d’urgence et la publication sous forme électronique.

2.3. REGLEMENTS METROPOLITAINS

Pour être complet, il reste à donner quelques précisions sur le régime des règlements émanant du pouvoir central.

2.3.1. Protection des compétences

Le système exposé ci-dessus (cf. 2.2.2.) ne concerne que les lois.

Dans l’hypothèse où un acte réglementaire du gouvernement central viendrait à empiéter sur les compétences de la Polynésie française, le recours est celui de droit commun devant le Conseil d’Etat.

2.3.2. Régime des ordonnances

A l’exception des lois ayant un caractère organique, le gouvernement de la République peut choisir, pour des raisons d’efficacité et d’encombrement de l’ordre du jour des assemblées parlementaires, de remplacer les lois par des ordonnances, procédure qui tend à devenir usuelle pour l’extension du droit à l’outre-mer. Deux procédures sont possibles.

a/ article 38 de la Constitution

Le gouvernement doit, dans le cadre de son programme, faire adopter par le Parlement une loi d’habilitation lui permettant de prendre par ordonnances dans un délai limité, les mesures énumérées dans la loi d’habilitation.

Les ordonnances prises dans ce cadre sont prises en conseil des ministres après avis du Conseil d’Etat. Elles deviennent caduques si un projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation. Aucun délai n’est imposé au Parlement pour l’examen et l’adoption de la loi de ratification. Cette ratification peut être implicite.


b/ Article 74-1 de la Constitution

Cette nouvelle procédure d’ordonnance est propre aux collectivités d’outre-mer.

Le gouvernement n’est plus obligé de se référer à son programme ni d’être habilité spécialement pour adopter ce type d’ordonnance qui peut intervenir à tout moment.

A l’inverse, ces ordonnances ne peuvent être prises que pour étendre, avec les adaptations nécessaires, les dispositions de nature législative en vigueur en métropole et elles deviennent caduques si elles n’ont pas été expressément ratifiées par le Parlement dans le délai de dix huit mois suivant leur publication.


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B - SUCCESSIONS – REFLEXIONS


Retranscription - Atelier portant sur les successions et les libéralités 
- Colloque AJPF 2006 - Amendements

Interventions de Jean PERES et Laurence Leprince-Ringuet

Monsieur PERES prend la parole :

Bonjour à tous et bon courage pour cette journée chargée qui vous attend. On m’a demandé de vous brosser, en quelques mots, la problématique de la répartition des compétences entre l’Etat et la Polynésie française en matière de succession et de libéralités

La Polynésie française, pouvait, par l’intermédiaire de ses institutions, et notamment dans le cadre des lois du Pays, participer à l’exercice de ces compétences de l’Etat. Bien entendu, la procédure à respecter est assez lourde et assez longue surtout et il faut encourager les élus à la mettre en œuvre et la première expérience que nous en avions faite sur la modification du Code civil en matière de possibilité de mariage des étrangers ne résidant pas en Polynésie française, nous a un peu échaudés.

Cette procédure, je le rappelle, est la suivante : Dès que le projet de loi du Pays est adoptée par le Gouvernement, il doit immédiatement être soumis au Gouvernement de la République par l’intermédiaire du Ministre de l’Outre-mer qui dispose d’un délai de trois mois, mais non sanctionné, ce qui fait qu’il peut un peu dépasser ce délai, pour dire qu’il approuve totalement ou partiellement, ou il rejette le projet de loi du Pays qui lui est présenté. Une fois ce décret intervenu, le texte doit être soumis à l’examen de l’Assemblée de la Polynésie française. Mais l’Assemblée ne peut pas modifier le texte tel qu’il a été approuvé par l’Etat, autrement dit le droit d’amendement dans ce domaine disparaît, il ne peut que adopter le texte tel qu’il lui est présenté ou le rejeter en bloc.

La troisième phase : une fois le vote de l’Assemblée acquis, le décret lui-même fait l’objet d’un projet de loi portant ratification du décret et le texte local ne peut entrer en vigueur qu’après la promulgation de la loi ratifiant le décret d’approbation. C’est extrêmement lourd comme procédure et ce n’est pas très encourageant. Malheureusement c’est comme ça et on est obligé de s’y soumettre.



Laurence LEPRINCE-RINGUET, assistante parlementaire à l’Assemblée Nationale de Mme Béatrice VERNAUDON, député de la 2ème circonscription de la Polynésie : "Lorsque le texte du projet de loi sur les successions et libéralités est venu en première lecture à l’Assemblée Nationale, notre député était prête pour cette lecture puisque le texte était déjà dans les tuyaux depuis 2003. Monsieur PERBEN pensait avoir l’honneur de le faire passer, et finalement c’est son successeur, Monsieur CLEMENT.

On m’a demandé de vous présenter la contribution du Député de la Polynésie à l’occasion de l’étude de ce texte. C’est une toute petite fenêtre par rapport à l’ensemble des sujets du colloque. Etant donné les très larges matières dans lesquelles la Polynésie est seule compétente, le rôle du Député de la Polynésie est assez réduit, en matière législative, par rapport à celui des députés de Métropole. Néanmoins, s’agissant de ce texte là, il fallait vraiment que notre député s’y applique, puisque précisément, il nous concerne, contrairement à l’immensité des textes qui passent devant le parlement.

Dans les jours qui ont précédé l’examen en séance publique du texte sur les successions et libéralités, les conseillers du Garde des Sceaux ont fait connaître à Madame VERNAUDON la position de la Chancellerie sur les lois d’amendement qu’elle a votées. Deux amendements obtenaient l’aval du Gouvernement car il y avait une portée nationale. Au passage, il la félicitait pour l’un d’eux en particulier, car, comme il l’a dit, il fallait le trouver.

Madame VERNAUDON a aussitôt transmis ces félicitations à celles qui les méritaient : Madame Catherine CHODZKO et Madame VANNIER qui les lui avaient soumis quelques jours plus tôt.

Ainsi, le texte que Madame Sylvie FERRE-ANDRE vous a présenté hier a-t-il un peu de sang tahitien ou plus justement un peu de sang AJPF. Je pense que vous pouvez en être fiers, j’espère que ce n’est qu’un début.

Les deux amendements ont été finalement adoptés : il s’agit d’un complément qui était fait sur l’article 763 du Code civil. Dans sa rédaction d’origine, le droit temporaire d’usage d’une année de l’habitation principale ne bénéficiait au conjoint survivant que si le logement était un bien commun ou dépendait totalement de la succession. Or en Polynésie, il est très fréquent que les époux construisent sur un terrain indivis. Il semblait opportun que cette protection puisse aussi être étendue au conjoint survivant de l’indivisaire.

Le deuxième amendement venait modifier l’article 25 de la loi du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et aux droits des enfants adultérins. Dans sa rédaction d’origine, en ne prévoyant comme bénéficiaire de l’alignement sur les droits des enfants légitimes que l’enfant dont le père ou la mère étaient au temps de la conception engagés dans les droits du mariage, la loi, sans le vouloir a oublié l’enfant naturel simple. Si bien qu’en Polynésie, depuis ces quelques années passées, dans la résolution des successions ouvertes avant 1972, l’enfant naturel continuait donc à ne recevoir que la moitié des droits de l’enfant légitime et bizarrement que la moitié d’une part d’enfant adultère. Donc il était important de rédiger cette loi. Voilà, donc ça c’est l’apport de l’AJPF : un peu de sang tahitien dans le texte.

En revanche, les autres amendements de la député de Polynésie, déjà présentés à la Commission des lois et refoulés par elle ne seraient pas soutenus et cela, malgré tous les arguments déployés dans son ordre de transmission ; l’argument avancé était que le Garde des Sceaux ne souhaitait pas que le Code civil s’alourdisse de particularismes propres à telle ou telle collectivité d’Outre-Mer. Les successions étant une des matières énoncées au 1° de l’article 31 de la loi statutaire de février 2004, parmi les compétences de l’Etat auxquelles peut participer la Polynésie française, il semblait important à Madame VERNAUDON d’amener le Garde des Sceaux, lors de la discussion générale, à dire explicitement et publiquement que le contenu de ces amendements pouvait faire l’objet d’adaptation en Polynésie française par le moyen d’une loi de Pays.

En réponse, le Garde des Sceaux a dit textuellement : « Madame VERNAUDON, vous avez insisté sur la question de l’indivision en Polynésie française, un certain nombre de modifications proposées ne relèvent pas de la compétence de l’Etat mais de celle du Territoire, et donc de la loi de Pays ».

Ensuite, répondant à sa deuxième question, où elle disait que si c’était vraiment par le biais d’une loi de Pays qu’il fallait régler les spécificités de texte, elle souhaitait l’entendre dire qu’il allait, non pas lui mettre des bâtons dans les roues comme ce fut le cas pour le mariage des non résidents mais, au contraire, appuyer, aider le Territoire à sortir cette loi de Pays. Sortir, cela veut dire en fait ne pas la bloquer à Paris, ne pas la refouler.

Ensuite le Gouvernement de la Polynésie française et les représentants de l’Assemblée de Polynésie Française, pourront à loisir aménager les dispositions du Code civil en matière de droit des successions et des libéralités. Cette tâche est immense mais c’est une tâche noble à laquelle chacun d’entre vous (notaires, avocats, magistrats, et personnel de l’administration territoriale), aurait à cœur de participer, que vous soyez ou non originaire de Polynésie. Personnellement, je pense que c’est parce que vous aurez vous-mêmes élaboré l’essentiel de la future loi de Pays que votre lobbying sera convaincant et qu’en final vous disposerez d’un outil incomparablement efficace.

Pour mémoire, voici le contenu des amendements qui ont été repoussés mais qui, localement je pense, devront être repris par la loi de Pays et je tiens à remercier tous les juristes qui, lors de la préparation, lorsque le projet de loi dans sa mouture définitive, avait été présenté ; les juristes du Haut Conseil, Monsieur PERES en particulier, Monsieur GIRE et Monsieur CALINAUD, ont beaucoup travaillé pour voir comment on pouvait adapter ce texte à la Polynésie. Je pense que tout leur travail sera repris intégralement.

Pour mémoire, voici les amendements que Madame VERNAUDON avait soumis et qui, j’espère, un jour trouveront leur place dans les dispositions propres à la Polynésie.


(...)   amendement portait sur les délais de l’article 809-3°, 810-1 dans la nouvelle rédaction et l’exposé des motifs disait ceci : « Compte tenu de la mobilité de la population et de la dispersion des héritiers sur un espace géographique grand comme l’Europe, il convient de prévoir un délai sensiblement allongé avant que le silence des héritiers connus ne provoque l’ouverture de la vacance. » Par cohérence, nous demandions la prolongation identique du délai pendant lequel le Curateur ne peut faire qu’un nombre restreint d’actes d’administration.

Le troisième amendement portait sur l’article 815-3 dans sa nouvelle rédaction, à savoir : « Il parait utile d’abaisser la majorité qualifiée pour effectuer certains actes à un niveau proche de la majorité simple des co-indivisaires. » Vous savez que dans le texte, il a été voté que c’était Deux/tiers (2/3). Pourquoi 2/3, parce qu’en Métropole, pour des raisons fiscales, les successions doivent sortir très rapidement, sinon vous êtes sanctionnés. Ce sont toujours des successions à une génération, bientôt un petit peu plus parce qu’on va pouvoir appeler les petits enfants, mais en tous les cas, deux/tiers correspond à peu près au nombre moyen d’héritiers en Métropole. Alors qu’en Polynésie, nous avons parfois jusqu’à 50, 60 héritiers. Donc de faire diminuer la majorité c’était donner plus de chance à nos successions de sortir un jour. Nous demandions donc de baisser la majorité à 60 % au lieu de 66 %, c'est-à-dire 3/5 au lieu de 2/3.

Autrement dit, si vous avez dix héritiers, dans la loi métropolitaine, il en faut sept, alors que dans la future loi de Pays, il en faudra six. Ce n’est pas grand-chose, mais parfois ça peut faire toute la différence.

Ensuite, un autre amendement portait sur l’article 831 au niveau de la demande d’attribution préférentielle. En Polynésie, lorsqu’on sort les terres de l’indivision, on attribue généralement à l’héritier qui habite sur une partie de la terre, un lot qui correspond à l’assiette de sa maison et en général les autres co-héritiers n’y voient pas d’inconvénient. Donc nous souhaitions que dans le texte il soit mentionné que l’attribution préférentielle puisse justement être étendue à ces parcelles, soit habitées, soit simplement cultivées puisque ça correspond à entériner un usage.

Ensuite, un autre amendement plus important : compte tenu de l’étendue de la Polynésie, il paraît utile de faire représenter l’indivisaire défaillant par un membre de la souche familiale au lieu de faire, comme nous l’indique le nouveau texte, à demander au Juge de désigner telle personne qualifiée dont les avis peuvent s’avérer onéreux. Nous souhaitions nous passer de ce professionnel qualifié et que le justiciable qui est bloqué par l’inactivité d’un de ses co-indivisaires, puisse demander au juge de désigner, non pas un professionnel, mais quelqu’un de la souche.

L’avant dernier amendement : L’article 887-1 du Code civil, dans sa nouvelle rédaction dit :
« Lorsque l’omission d’un héritier résulte de la simple ignorance ou de l’erreur, les co-partageants auront l’option d’attribuer à l’héritier omis sa part soit en nature, soit en valeur, si le partage a déjà été transcrit et exécuté par l’entrée en possession des lots. »

Dans la rédaction du Code civil, il est dit que l’héritier peut demander de recevoir sa part, mais en fait il peut aussi demander l’annulation. En Polynésie, nous avons un article dans le Code de procédure civile qui dit que la tierce opposition n’est pas recevable dans ce cas là. Donc, nous demandons que l’option appartienne non pas à l’héritier mais aux co-indivisaires allotis de dire : on vous propose soit en nature, soit en valeur. Donc que ce soit ceux qui ont déjà été allotis qui aient l’outil en mains et non pas l’héritier omis, oublié.

Le dernier amendement portait sur l’article 827 du Code civil qui se rapproche du précédent.
Par cohérence avec le précédent amendement, et toujours afin d’éviter la remise en cause des partages en Polynésie française, cet amendement permet, conformément à la jurisprudence constante de la Cour d’Appel de Papeete, à un seul indivisaire de représenter valablement tous les membres de la souche à laquelle il appartient. Il vise à revenir sur la jurisprudence de la Cour de Cassation qui admet la tierce opposition pour tout indivisaire qui n’a été ni partie ni représentée dans un partage judiciaire par souche. En raison de la multitude d’héritiers d’une même souche en Polynésie, il convient en effet d’empêcher qu’un héritier qui n’a pas été représenté puisse exercer (inaudible la tierce opposition ?) Donc c’est vraiment le partage par souche qui est courant ici et qui ne l’est pas du tout en Métropole ; au contraire, un héritier qui n’a pas été représenté a droit à tout casser. Ce qui est pour ici catastrophique.

Je souhaite donc bon courage à tous les juristes de Polynésie et à tous les professionnels qui s’intéressent à la chose. Votre force de lobbying vis-à-vis des représentants de l’Assemblée de Polynésie fera la différence. Si vous attendez que ce soit eux qui vous donnent un outil efficace, approprié, vous attendrez longtemps. Mais si c’est vous-mêmes qui êtes à l’origine de ce texte, je pense que vous aurez rapidement des outils appropriés."

Merci.